dimanche 8 janvier 2012

UNE NATION ORPHELINE



Une sévère perte d’audience a frappé ces derniers temps, la grande messe du 20 heures, de la chaîne de télévision privée TF1. Par extraordinaire, la raison en a été les événements de Tunisie. En effet, la gravité de ceux-ci, leur rapide contagion à d’autres régions du monde méditerranéen auquel nous appartenons, et leurs implications, tant dans la politique étrangère, que dans la politique intérieure de notre pays, ont fait qu’il n’était décemment pas possible, pour la rédaction de ce journal, de se satisfaire de la facture habituelle de celui-ci.

Ainsi, le basculement de cette partie du monde, dans une révolution que tout pouvait logiquement laisser prévoir, mais dont notre inébranlable disposition à ignorer les évidences, en a fait une surprise, ne pouvait-il pas continuer à être ignoré pour que puisse tranquillement continuer d’être édité, ce journal de chats écrasés et de faits divers, qui à donné à cette chaîne, une réputation peu flatteuse, auprès de beaucoup d’entre nous. Cependant, cette nécessité de traiter pour une fois d’un véritable événement, plutôt que de s’employer encore à en faire un, du vent en novembre, ou de noël en décembre, ne fut absolument pas du goût de ses fidèles, qui alors l’ont abandonnée, pour s’en aller trouver ailleurs la futilité qui leur permet d’ignorer confortablement, l’angoissante réalité des choses.

Bien sûr, ce refus déjà de savoir, et donc par-là, “d’assumer”, les redoutables difficultés qui se posent dans nos sociétés d’hommes, théâtres d’affrontements millénaires entre une quête d’intérêts particuliers propre aux individus, et la nécessité impérative que soit préservé au bénéfice de tous, un intérêt commun, est certainement du pour beaucoup, au vieillissement dramatique de notre société. Il n’y a lieu de s’engager en effet, que pour l’avenir. Or, les seniors issus des générations égoïstes de “soixante huitards”, ne sont préoccupés que de vivre tant qu’ils le peuvent encore, l’instant présent. Ils ne sont d’ailleurs en rien dérangés, de constituer les seules générations qui, depuis des siècles, transmettrons ce pays à leurs enfants, dans un état plus défavorable que celui dans lequel ils l’ont trouvé.

Mais, par delà ce renoncement qui fut celui de certains, d’avoir le progrès “en charge”, il nous faut constater dans ce désintérêt des citoyens pour des questions politiques et sociales qui les concernent pourtant directement, qu’exerce un mal insidieux qui d’une façon générale, c’est à dire toutes générations confondues, frappe cette société, en ramenant nombre de ses citoyens, à ce qu’il convient bien d’appeler un stade “d’irresponsabilité infantile”.

Sans davantage de développements préalables, cette proposition peut surprendre, mais il semble bien, au regard de la futilité de ce qui constitue l’intérêt et la préoccupation de nombre de nos concitoyens, à l’heure même ou les événements internationaux et la nouvelle réalité du monde qui se met en place, exige impérativement d’eux, la plus grande vigilance, et le plus grand engagement, que la société française soit globalement frappée de “régression”.

Il s’agit là de ce mal que les psychologues identifient couramment chez des individus, lorsque ceux-ci se trouvent confrontés à une épreuve qui les défie, et qu’ils ne se sentent la force d’affronter. Leur refus devant l’obstacle se manifeste alors par le fait qu’ils adoptent des attitudes qui les disculpent d’un abandon de leurs responsabilités, qui sont donc des attitudes de “l’enfant”, tel que celui-ci se trouve déchargé de celle-ci, par la grâce de ses parents. Cet artifice leur permet d’ignorer la réalité et par là, de conserver leur sérénité en ne se voyant que face à des épreuves connues, qu’ils ont déjà surmonté. Il s’agit donc d’une sorte de retour en enfance, mais qui n’a rein à voir avec le phénomène qui frappe habituellement les anciens. Cependant, pour que cet abandon puisse se faire, il leur est nécessaire de pouvoir se sentir sous la protection d’une parenté quelconque, qui elle, assumerait les difficultés.

En admettant que, par delà ses individus, la régression peut frapper la personne morale que constitue une société, à l’occasion de défis qui lui seraient lancés par d’autres, et qu’elle ne se sentirait pas la force de relever, il n’est pas incohérent de penser que, face au redoutable défi que constitue la mondialisation, avec la concurrence permanente et épuisante que lui inflige les pays émergents, la société française soit frappée de régression. Et ceci, comme cela semble avoir déjà été le cas, à des moments difficiles de son histoire, tel que l’occupation. Car, son “inadéquation” aux exigences de notre époque, au sujet de laquelle, loin de l’aider à en sortir, sa propre classe dirigeante lui fait querelle, devient de plus en plus patente, et elle sent bien confusément, qu’elle n’est plus en condition pour faire face à cette compétition.

Il est manifeste que la société française d’aujourd’hui, a baissé les bras et qu’elle ne s’envisage plus réellement jouer dans la cour des grands. Car, face à un défi comme celui de la démographie par exemple, elle se contente de constater son vieillissement et en prend acte, sans jamais se donner aucun moyen pour y remédier, et sans même songer un seul instant à le faire. Mais à cette difficulté s’ajoute le fait que, du fond de sa régression, elle ne parvient pas à se situer sous la protection rassurante d’une parenté, car elle se découvre alors, “orpheline”.

En effet, la société française est orpheline, et ceci, depuis plusieurs décennies déjà. Elle l’est en fait depuis la disparition du général de Gaulle, dernier vrai “Père de la Nation” vécu comme tel, et depuis, elle se languit d’attendre “papa”.

En fait, même s’ils ne l’avouerons jamais, pour ne pas sembler vouloir se mettre eux-mêmes sous tutelle, et renoncer à leur responsabilité, d’une façon peu reluisante il est vrai, qui de plus, s’inscrirait à contre courrant de l’évolution démocratique des sociétés avancées, les Français attendent confusément qu’advienne le “chef”, celui aux ordres duquel ils seraient obligés, par la force des circonstances, de se soumettre, sans faire injure à leur conscience. Ceci, à la façon de la république romaine, où se trouvait désigné temporairement un dictateur, pour sortir des périodes de crise. Il ne leur manque pour s’abandonner, que d’être convaincus, grâce au charisme exceptionnel qu’un des leurs fils manifesterait, que s‘est bien révélé ainsi, le tribun susceptible de les conduire enfin vers la voie de l’efficacité et du salut.

Bien sûr, les qualités fondamentales de ce “recours”, devraient être le désintéressement personnel, et la bienveillance, c’est à dire l’exact contraire de l’autoritarisme outrancier et finalement ridicule, qui caractérise l’actuel séjour de “sa petitesse” au palais, cet homme qui, par l’esprit, ne se sera jamais situé à la hauteur de l’événement, et dont les Français acceptent désormais les frasques, comme un châtiment, pour lui avoir permis d’être là.

Mais soyons clairs. Souhaiter secrètement qu’une autorité bienveillante s’en viennent mettre enfin de l’ordre dans les choses, et signifier la bonne direction afin du meilleur avenir, correspond bel et bien à une quête du “père”, selon un sens que lui donnent les psychologues, c’est à dire, un “adulte mâle référent de loi”. C’est probablement ce qui explique l’indolence et la désinvolture “nihiliste”, par lesquelles les Français se montrent prêts à ce qu’il advienne n’importe quoi, puisque le pire serait qu’il n’advienne rien, et en se disant alors que le chaos, forcera la décision d’un sauveur.

Les Français sont donc en attente depuis des années, d’un nouveau Père de la nation qui présidera à une nouvelle fondation de celle-ci, en vue d’une renaissance de ce que fut sa brillante civilisation, dont ils se montrent actuellement, il faut le dire, des héritiers indignes.

Ni Georges Pompidou, issu du monde des affaires, ni Valéry Giscard d’Estaing, faux aristocrate guindé, dont les tentatives malgré tout sincères, de s’accorder le peuple, ne pouvaient qu’échouer, tant il existait dès le départ, de distance entre lui et ce dernier, n’ont pu remplir ce rôle.

François Mitterrand quant à lui, ne pu tout juste être vécu que comme “tonton”, et ceci, pour les siens seulement. Car, si sa politique sociale s’accordait bien à un rôle de père, il avait bien trop critiqué en tant qu’opposant, la politique de grandeur et de fierté nationale qui était alors incarnée par le général de Gaulle, et qui constitue logiquement, l’autre rôle fondamental et indispensable d’un père de la nation. Parce qu’elles n’étaient évidemment pas inscrites dans un programme électoral destiné tout d’abord à le faire élire, et ce, par les plus modestes, les merveilleuses réalisations architecturales inattendues de sa part, mais dont il fut cependant le génial instigateur, n’ont pas permis qu’il soit reconnu et vécu dans sa qualité “paternelle”.

Avec sa bonhomie, Jacques Chirac disposait d’un atout indéniable, et sa volonté de défendre farouchement les intérêts extérieurs de la nation, selon le principe : “ qu’elle ait tort ou raison, ma patrie d’abord”, aurait pu le mettre en situation. Sa très controversée reprise des essais nucléaires, mais surtout, son attitude courageuse dans la question de la guerre d’Irak, par la voix de son ministre Villepin, témoignent de ce que telle fut bien, sa préoccupation.

Malheureusement, malgré son magnifique “musé des arts premiers”, réalisation unique au monde, un manque d’ambition, de projet, et bien sûr de moyens pour ces derniers, ne lui a pas permis de s’inscrire favorablement dans le personnage tant attendu d’un “chef suprême”, ou celui de “grand timonier”, pour que les Français puissent alors éprouver avec soulagement, le sentiment qu’il y a enfin ici quelqu’un qui “prend les choses en main”, autrement dit, quelqu’un qui “gouverne”, tout simplement.

Car, n’en déplaise à tous ceux qui, comme moi-même il y a seulement quelques temps, continuent de penser que, capable de toutes les audaces, le peuple n’aspire qu’à entreprendre, qu’il ne se bat que pour s’en garantir la liberté, et assumer par cela, le plus de responsabilités, il s’avère qu’en réalité, plus de trente années d’échecs successifs et de désillusions, quant au règlement de ses problèmes récurrents, ont provoqué sur lui une véritable “castration”, qui a anéanti son enthousiasme, sa confiance en lui et en l’avenir, et sa foi en le progrès.

Culpabilisé par une pseudo élite malfaisante, le rendant coupable de son tourment, ceci, pour avoir voulu une vie meilleure et plus facile, ce peuple n’ose même plus regarder ses rêves en face, comme si ceux-ci étaient illégitimes et indécents, et les a remisées dans un placard d’intentions malignes. L’ampleur de ce renoncement est telle que, même sa révolte, ne serait pas pour autant porteuse de projet. C’est dire s’il n’est pas en état d’avoir lui-même, les initiatives nécessaires pour s’établir selon une nouvelle fondation, et il le sait bien...

Lassés du jeu stérile des hommes de partis, dont ils ont pu constater, puisque chacun de ceux-ci a eu ses heures aux affaires, que, pour autant que les politiques menées furent sensiblement différentes, aucune de celles-ci n’a abouti au règlement d’un seul des problèmes qui les étreignent, les Français s’en remettent désormais aux voies de la destinée, ils lèvent les yeux vers le ciel, et attendent l’illustre inconnu, qui donnera son nom à son action salvatrice.

Malheureusement, où que se portent nos regards, nous ne voyons pas poindre le grand leader charismatique tant attendu, et qui tel le messie, n’arrive jamais parce que tout le monde l’attend. Tout l’horizon est obstrué par la mise en scène des partis politiques où l’on s’agite, et où les soigneurs s’activent à préparer leurs champions, en vue de la grande compétition. Mais, en compulsant la nomenclature des candidats probables ou déjà déclarés, auxquels il faut bien sûr reconnaître le grand mérite de l’être, sans vouloir être inconvenant à leur égard, leur ferait-on injure en constatant le plus simplement du monde, qu’aucun d’eux ne se situe au niveau de l’espérance des Français, et ne possède donc la dimension de l’événement.

Qu’espèrent donc tous ces gens qui préparent l’élection de 2012, comme s’il ne devait s’agir que d’une formalité administrative ?

Car soyons clairs. Même si cet événement se produit à la suite d’un mouvement populaire, ayant rassemblé la contribution matérielle ou intellectuelle du plus grand nombre, le pays ne sortira de sa torpeur, que sous la conduite d’un homme à la carrure exceptionnelle, représentant cette pluralité, et dont les partis politiques ne possèdent selon cette définition, aucun exemplaire. Il n’y a donc que si cet événement salvateur ne se produit pas, que les partis politiques auront encore matière à exercer, et ils n’ont de raison en fait, que pour la continuation, avec bien sûr des différences logiques de leurs différentes chapelles, du même système.

Se pourrait-il qu’ils en prennent conscience, et qu’il réalisent qu’en tant que patriotes, le plus grand service qu’il leur est possible de rendre à la nation, c’est de cesser d’obstruer l’horizon, avec leurs candidats en béatitude, pour que nous puissions enfin apercevoir l’illustre inconnu qui par nécessité historique, s’amène...On peut rêver...


Paris le 9 février 2011
Richard Pulvar

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