samedi 12 novembre 2011

Légaliser l’interdit : ce que dominant veut... L’affinage des stratégies rhétoriques de la contre-révolution coloniale




Même si les dominés sont rarement assez naïfs pour s’imaginer qu’un droit est définitivement acquis lorsqu’il est reconnu par la loi, les luttes contre les lois liberticides peuvent aussi parfois, involontairement, masquer les stratégies vicieuses mises en place par les dominants pour discriminer en dépit de la loi.


Les militants algériens le savaient bien, eux qui purent être arrêtés, battus, assassinés et jetés à l’eau le 17 octobre 1961 à Paris (et beaucoup d’autres jours ailleurs...) alors même que le couvre-feu visant les Algériens n’était ni légal, ni même officiel (il était seulement "déconseillé" aux Algériens de sortir : la caractère "pressant" dudit "conseil" étant parfaitement compris comme un impératif dont le non respect devait être fatal) . Min taht al ma - "de sous l’eau" - on pouvait toujours protester, invoquer les principes juridiques très humanistes de la République, les représentants dudit État n’en avaient cure.

Voiles et métonymies

Pour Sadri Khiari, le racisme structurant les sociétés des métropoles impérialistes, est "largement anonyme" et "rend obsolète l’usage juridique ou autre de catégories explicitement racialistes, ou dont le caractère discriminatoire est transparent" (in La Contre-Révolution coloniale en France)

Pour discriminer les femmes musulmanes en France par exemple, les stratégies sont connues : on s’exprime par métonymies (figure de substitution consistant à désigner un objet ou un être, en évoquant un objet proche de la chose ou de la personne dans un rapport de voisinage ou de contiguïté : pour ne pas dire "Musulmane", on vise un de ses attributs vestimentaires - qui plus est de la "Musulmane qui ne veut pas se faire intégrer", comme le foulard par exemple, et ainsi, l’énoncé produit, qui aurait été plus facilement perçu comme raciste si le mot avait été prononcé, prend une apparence plus acceptable lorsqu’on se contente de parler de "voiles" : pour citer Saïd Bouamama, le racisme prend des airs "respectables" en se faisant passer pour une critique légitime des religions - et la référence explicite à la race peut être évitée alors même que dans les faits, c’est bel et bien elle qui est visée).

Dans le même sens, Pierre Tevanian a parlé au sujet des discours laïcards, de "métaphore du racisme républicain" (in La République du Mépris).

Aujourd’hui les métaphores s’affinent : pour ne plus dire "Ratons", on peut parler du "halal" - produisant ainsi ce que Pierre Bayard a nommé ailleurs des "syllepses invisibles" ( http://lmsi.net/Des-syllepses-invisibles ).

Et les métonymies se dissimulent parfaitement dans les nouvelles stratégies rhétoriques de la contre-révolution coloniale. Pour discriminer les mères musulmanes portant un foulard voulant accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires, le premier réflexe du ministre Luc Chatel fut tout simplement de légiférer dans ce sens.

Lorsque cela se révéla compliqué (à cause de la liberté de conscience censée être un fondement de la République), la "solution" parut alors toute simple à ces messieurs :
"On ne peut pas légiférer. Nous sommes en train de préparer des instructions sur des règlements. L’esprit des instructions sera d’éviter le port du voile" (Claude Guéant) (http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/gu-ant-pr-sente-un-code-cit-plus-restrictif-libert-religieuse-164438 ?quicktabs_1=1&quicktabs_2=1)
Pratique, non ? À quoi bon changer la loi ? Monsieur Guéant veut empêcher le port du voile pour les mamans accompagnant les sorties scolaires. La loi l’interdit. Qu’à cela tienne, contournons la loi ! Et tant pis pour la liberté de conscience des Musulmanes.

Quand l’État encourage à pratiquer ce que la loi ne peut pas autoriser.

En livrant la méthode clés en mains. Concrètement : pour ne plus dire dans les règlements intérieurs des écoles - parce que c’est interdit - "les mères musulmanes portant un foulard ne pourront pas accompagner les sorties scolaires", il suffit de s’exprimer en deux temps :
1) À un moment donné, préciser ce que la loi de 2004 a gravé dans le marbre (quand la loi va dans le sens du rapport de domination ne nous en privons pas ! ) : "le port du voile s’apparente à du prosélytisme religieux incompatible avec la laïcité". 2) Ailleurs, dire que les "contributeurs extérieurs", tout comme les fonctionnaires, doivent respecter la laïcité.
Et ça y est ! Ce qui était impossible à cause de la loi républicaine, devient parfaitement possible grâce aux "procédés" républicains bien euphémisant :
Comme le respect de la laïcité implique (d’après la loi française) aux seuls agents de service public, une tenue interdisant « le port de tout signe d’appartenance religieuse », ce même respect exigé des intervenants extérieurs (extension tout à fait abusive de la loi - que le Conseil d’état a déjà jugée illégale - mais ça, nous ne sommes pas censés le savoir...) implique, par analogie, une même interdiction vestimentaire - par exemple au sujet d’un foulard qui sera qualifié « d’islamique », appliquée à des intervenant-e-s qui ne sont pas fonctionnaires.

Pour ce faire, nous le voyons, les Musulmanes ne doivent plus seulement être désignées par une métonymie de premier degré ("mères portant un voile"), mais en quelque sorte par une métonymie de second degré : "contributeurs extérieurs".

Dans un troisième temps, comme il est exigé de ces contributeurs de "respecter la laïcité" (ce qui est impossible en France avec un foulard sur la tête), la Musulmane pourra enfin, très proprement, être discriminée sans qu’on ait jamais à prononcer son nom.

Faysal Riad

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