mercredi 31 août 2011

Haïti et Wikileaks : les pays industrialisés se mobilisent pour la démocratie



Depuis des années, les Etats-Unis, le Canada et l’Union Européenne, avec la France en particulier, se mobilisent, avec le soutien des Nation Unies, pour que la démocratie en Haïti ne mette pas des bâtons dans les roues des intérêts économiques et géostratégiques beaucoup plus important à leurs yeux. Heureusement Wikileaks les a démasqués.


Les médias sont-ils très critiques vis à vis d'Haïti ?

L'histoire que les grands médias racontent sur Haïti peut être résumée comme telle : un mélange explosif de pauvreté et de croyance vodou, corruption et incompétence, un manque d’expérience, une relation entre des méthodes sociales et féodales qui font qu’Haïti n’est pas capable de sortir du marasme du sous-développement. Le monde extérieur regarde et s’étonne.

Plusieurs tentatives pour reconstruire le pays avec des aides extérieures se sont échouées contre le mur que ce mélange a érigé. D'accord, il faut admettre que la communauté internationale a fait de son mieux avec les meilleures intentions mais sans résultats. Mais dans cette aide internationale se cache aussi de la corruption. Un regard "critique" donc jusque là. En deux mots : ni les Haïtiens ni nous ne savons y faire.

Une telle pseudo-analyse part du dogme que les actions des pays développés n’engendrent pas toujours des résultats positifs mais que les intentions sont bonnes. Le fait qu’il n y ait aucune preuve historique pour légitimer ce dogme ne semble pas pertinent.

Mais il y a une autre explication possible, taboue pour les médias. Le sous-développement permanent d'Haïti n’est pas un effet secondaire mais la conséquence directe de la présence internationale et leur ingérence. Ce que les pays développés font en Haïti n’est pas une aberration mais l’application logique d’un système mondial économique qui suppose que démocratie et droits de l’homme dans le tiers-monde sont des idées nobles. Mais ces idées restent soumises aux intérêts économiques et géostratégiques du Premier monde. Pour l'expliquer dans le langage de l’analyse politique : ce qui se passe en Haïti n’est pas accidentel mais intentionnel.


Rhétorique et réalité à la façon haïtienne

Ne pensez surtout pas que ce point de vue m’a été suggéré par l’une ou l’autre source politiquement correcte et progressiste. La communication entre les ambassades US, canadienne, française, européenne et onusienne est très claire. Wikileaks donne une image plus précise sur les vraies intentions de ces puissances mondiales que leurs déclarations officielles dans les médias. L’analyse de ces documents démontre combien la rhétorique diffère de la réalité politique. Le mépris pour la démocratie et les droits de l’homme dans le tiers-monde est frappant. La méthode de travail des pays et organisations mentionnés ci-dessus montre aussi qu’ils sont très bien au courant de ce qui se passe dans le tiers-monde et de ce que la population veut.

Haïti est un exemple parmi d’autres. C’est néanmoins un des exemples les plus extrêmes. Aucun autre pays en voie de développement n’a subi si longtemps et aussi continuellement les attaques de l’Occident. Les conséquences sont catastrophiques, au moins pour la population d’Haïti. Mais à Washington, Ottawa, Paris, Bruxelles ou New-York, on n’est pas de cet avis.

Les médias ne prêtent pas beaucoup d’attention aux documents de Wikileaks concernant Haïti. Lorsqu’ils le font, c’est de manière très sélective et pour prouver les clichés qui collent à Haïti. Pour s’informer sur l’Histoire d’Haïti et son combat pour la démocratie, je renvoie aux autres articles de cette Newsletter.


Aristide, un danger pour la démocratie

En effet, les grands de ce monde se rendent bien compte que la popularité d'Aristide est toujours présente. Le fait qu’il soit toujours considéré capable de rassembler plus de la moitié des électeurs montre combien il est encore populaire.

Aussi bien pendant son premier mandat, son premier exil, son deuxième mandat et son deuxième exil, depuis plus de vingt ans, les Etats-Unis et leurs alliés des Nations Unies et des autres pays mentionnés ci-dessus ont essayé par tous les moyens de mettre un lien entre Aristide et la corruption, le trafic d’êtres humains et le trafic de drogues. Aucune preuve n’a été fournie mais les soupçons ont fait leur travail pendant toutes ces années avec la collaboration des médias.

Il s’avère, d’après les révélations de Wikileaks, que la mise à l’écart et l’élimination du parti politique Fanmi Lavalas ainsi que de son leader, Aristide, sont un élément central pour le gouvernement des Etats-Unis et ses alliés – et il n’y a jamais eu de désaccord à ce sujet entre les présidents qui se sont succédés jusqu’à Obama, qu’ils fussent républicain ou démocrate. C’est pour cela que le politicien le plus populaire d’Haïti a eu la vie dure. Le Vatican a aussi participé à cette campagne menée contre l’ancien prêtre Aristide que le peuple avait choisi. Le Vatican est allé plus loin que ses alliés en allant jusqu’à qualifier Aristide de « délinquant actif du vodou » et « un danger pour la consolidation de la démocratie en Haïti ».

Un rapport 'Comment arrêter Aristide' du 2 aout 2006, mentionne comment le patron de la mission des Nations Unies à Haïti (MINUSTAH) a demandé aux Etats-Unis d’entreprendre des actions légales pour empêcher le retour d’Aristide à Haïti.

Aristide a provoqué la colère de Washington en donnant son point de vue sur ce qu’il appelle l’occupation étasunienne. Par contre, l’ambassadeur US à Port au Prince, Janet Sanderson, a une autre opinion de la MINUSTAH : ‘Un départ prématuré de la MINUSTAH fragiliserait le gouvernement haïtien vis à vis des puissances populistes et politiques qui se dressent contre l’économie de libre-marché.’

Le président Obama et le secrétaire générale des Nations Unies, Ban Ki-moon, ont remué ciel et terre pour convaincre le président sud-africain, Jacob Zuma, de maintenir Aristide sur son sol. L’ambassade de France a dit qu’un retour d Aristide serait catastrophique et le Vatican a parlé de désastre.

Les Etats-Unis et ses alliés étaient d’un avis unanime mais avaient beaucoup de mal à convaincre les pays limitrophes des dangers d’un retour d’Aristide. Il s’agissait d’abord d’élections démocratiques (ou ré-élections) d'un président pour Haïti. Mais en plus, ces pays limitrophes avaient eux-mêmes connu dans le passé, de la par des Etats-Unis, ' des inquiétudes démocratiques' : renversement, exil forcé ou meurtre de présidents.


Aristide, le retour sans jamais être parti

Ce n’était que la deuxième fois que les Etats-Unis et leurs alliés mettaient Aristide hors de son pays et qu’il devenait inexistant pour les médias. Les puissants de ce monde étaient tout de même inquiets. Le gouvernement des Etats-Unis a immédiatement utilisé tous les moyens pour le tenir hors du pays.

Lorsque le président de la République dominicaine (l’autre moitié de l'île avec Haïti), 8 mois après l’exil d’Aristide, se disait favorable à un retour de ce dernier, les ambassades US, britannique, canadienne, française et espagnole l’ont intimidé. Les Etats-Unis avaient dépensé des millions de dollars dans une campagne visant à associer Aristide au commerce de drogues et d’armes. Ils n’ont pas pu produire une seule preuve. Ce qui n a pas empêché, à ce jour, les Etats-Unis et leurs alliés de répandre des insinuations que les médias ont repris sans hésiter. Le président dominicain ne s’est pas laissé intimider pourtant, ni son collègue des Bahamas

Lorsqu’il est devenu impossible d’empêcher le retour d’Aristide avec des pressions politiques, la France, les ambassades US dans les caraïbes et les ambassadeurs de l’Union Européenne ont coordonné une action pour convaincre les pays concernés de défendre Aristide à atterrir sur leur territoire.

Surtout après le grand tremblement de terre, on était inquiet sur les dangers éventuels qui pourraient ébranler l’ordre politique établi à Haïti' si Aristide revenait. Même le Vatican, toujours là pour les répudiés de ce monde, s’est mobilisé. L'archevêque d’Haïti contactait ses collègues à Pretoria pour convaincre le gouvernement sud-africain.


Un retour quasi-triomphal passé sous silence

Cela n a servi à rien. Les temps ont changé. Dans les années septante, un candidat comme Aristide aurait déjà été assassiné. Aujourd’hui, les Etats-Unis ne peuvent plus se le permettre. Par ailleurs, des pays comme l’Afrique du sud ne se laissent plus dicter quoi que ce soit. Et le fait que les présidents de pays comme la République dominicaine et les Bahamas contredisent ouvertement les Etats-Unis et l’Union européenne est aussi significatif.

Deux jours avant le deuxième tour des élections présidentielles qui ont mis Martelly au pouvoir, Aristide est parti du Nicaragua pour atterrir à Port au Prince. L’affluence des masses venues l’accueillir à été ignorée par les médias. L’avenir reste incertain.

Les puissances économiques et militaires de ce monde ont certes perdu de leur influence, mais ils restent des acteurs importants. Est-ce qu’Aristide va réussir à se porter à nouveau candidat pour les présidentielles ? Officiellement, la constitution de 1987 ne permet pas un troisième mandat. Mais cette même constitution dit aussi qu’un mandat dure cinq ans. Dans tout les cas, ce n’est pas à Washington, New York, Paris, Ottawa, Londres ou Bruxelles de répondre à cette question. Seul le peuple haïtien peut faire ceci. La vraie question est : les pays industrialisés pourront-ils à nouveau empêcher que cela se produise ?

Quoiqu’on puisse dire d’Aristide, si le choix du peuple haïtien se porte sur lui, alors nous devons respecter cela. Commençons par exiger une opinion claire de nos députés européens et à faire pression sur nos gouvernements. Qu’une troisième fois puisse être la bonne fois pour Haïti.


Lode Vanoost 


Source originale : uitpers.be

Traduit du néerlandais par Christina Maertens pour Investig'Action



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