vendredi 3 juin 2011

LES CASQUES BLEUS ABUSENT EN RDC EN VIOLANT DES FILLES MINEURES



Rencontres internationales du documentaire de Montréal - Casques bleus de la honte



Dans son nouveau et bien nommé documentaire, Le Déshonneur des Casques bleus, la journaliste Raymonde Provencher lève le voile sur une sale loi du silence: celle qui plane sur les viols et les abus sexuels commis contre des femmes et des fillettes par des soldats des missions de paix déployées par l'ONU. Des crimes qui restent presque toujours impunis.

Elles sont trois jeunes filles qui ont aujourd'hui 12, 14 et 15 ans. Elles grandissent dans l'extrême est du Congo-Kinshasa, dans le champ de lave qu'est devenue la ville de Goma depuis l'éruption volcanique de 2002. Un soir, elles rentrent «de la prière». Il pleut, alors elles se mettent à l'abri. Un camion s'arrête; on leur offre de les reconduire chez elles, mais on n'ira pas les déposer à la maison. «Pourquoi va-t-on à l'hôtel Karibu?», demande l'une d'elles. On leur offre un Fanta et elles commencent à se sentir étourdies. Dans la chambre où elles se réveillent, le lendemain matin, elles se rendent compte qu'elles ont été droguées. Les draps sont ensanglantés. «On a compris qu'ils nous avaient déviergées.»

«Ils», ce n'étaient pas des membres de l'une ou l'autre des milices sans foi ni loi qui terrorisent les civils dans l'est du pays, où les affrontements ont fait, au bas mot, quatre millions de morts depuis la fin des années 90. C'étaient, racontent les petites, deux soldats de la MONUC, la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (RDC).

Que le viol fasse partie de l'«arsenal de guerre» dans la région des Grands Lacs africains, au point d'être socialement banalisé, est un fait avéré. Ce qu'on sait moins et ce que les autorités onusiennes ne tiennent pas non plus à voir, c'est que des «soldats de la paix» violent aussi, abusant de la confiance qui les précède, et s'en tirent impunément. C'est sur cette réalité, qui laisse derrière elle des «bébés MONUC» et des filles brisées, répudiées par leur famille, qu'enquête la documentariste québécoise Raymonde Provencher, pasionaria de l'information internationale depuis 25 ans et cofondatrice de la maison de production Macumba International, dans Le Déshonneur des Casques bleus, présenté ce soir dans le cadre des dixièmes Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Son reportage tombe à point: l'ONU a annoncé vendredi dernier le rapatriement d'Haïti d'une centaine de Casques bleus sri-lankais pour avoir acheté des services sexuels, y compris auprès de mineures.

Peur du sida

Déployée depuis 1999, la MONUC, dont le Canada ne fait pas partie, constitue la plus imposante de la vingtaine de missions de paix actuellement en cours dans le monde. Quelques milliers de ses 20 000 membres sont stationnés à Goma. «Après le petit commerce, la prostitution est la principale activité ici, à Goma», dit Marc Kashira, responsable avec sa soeur Mimi d'une fondation qui accueille, avec les moyens du bord, les femmes et les enfants victimes de la guerre. Marc se demande, par dépit, pourquoi «tous ces Casques bleus, qui ont de l'argent, ne se payent pas toutes les prostituées qu'ils veulent... ». Mimi Kashira répond: «Ils ont peur du sida, alors ils se jettent sur les petites filles.»

Qui s'appellent Justine, Roseline, Nicole, Blandine, Cécile, Zizina... Nicole, 15 ans, allait rejoindre un de ces soldats à son bureau de la MONUC à Kinshasa. «Après les relations sexuelles, il me disait: "Tu n'es encore qu'une enfant. Pardonne-moi."» Blandine a eu un «bébé MONUC»: «Ils étaient ici pour ramener la paix, alors je n'ai pas eu peur d'eux.»

Le Dr Arnold Kambale dit avoir des preuves claires et nettes d'exactions «dans au moins 19 cas». Elles ont entre neuf et seize ans, affirme-t-il, et souffrent de séquelles gynécologiques effrayantes. Ce n'est peut-être que la pointe de l'iceberg. En province, les cas d'abus commis par les soldats de l'ONU se comptent, à son avis, par milliers. Il montre du doigt les contingents sud-africain, marocain, indien et pakistanais.

Impunité

Pour autant, il y a omerta. «L'ONU est toute-puissante, déclare Marc Kashira, les Casques bleus sont des intouchables. On n'ose pas parler.» Le pasteur Munfano Masiri Désiré l'a appris à ses dépens: pour avoir accusé du viol de sa fille de 12 ans le Français Didier Bourguet, chef de l'unité de la logistique de la MONUC à Goma, qui attend aujourd'hui son procès à Paris, il a reçu des menaces de mort avant de décider de se réfugier avec sa famille à Kampala, en Ouganda. «Les agresseurs sont à l'abri; le pire qui puisse leur arriver est d'être rapatriés», reconnaît Julie Filteau, sergent-détective de la police de Lévis, qui a enquêté pour le compte de l'ONU en 2004 et 2005 sur les crimes à caractère sexuel commis par des employés onusiens en RDC.

Depuis 2004, 148 Casques bleus — excluant les 108 Sri-Lankais qu'on vient d'expulser d'Haïti — ont été rapatriés et bannis de futures missions de paix. Seulement 13 d'entre eux auraient été traînés en justice, souligne le documentaire.

Le code de conduite interne des Nations unies interdit à ses soldats d'avoir des relations sexuelles avec des civils qu'ils vont protéger. Ce que Me Emmanuel Daoud, avocat des victimes de Didier Bourguet, n'est pas loin de trouver ridicule: «La responsabilité morale de l'ONU est totale parce qu'on nage en pleine hypocrisie. On envoie dans la nature des milliers d'hommes qui entrent en contact avec des populations totalement démunies et on voudrait faire croire qu'ils n'auront plus de vie sexuelle. Dans tous les pays où il y a eu des contingents, il y a eu des scandales. Ce problème, il va bien falloir le régler.»

L'ancien secrétaire général Kofi Annan a sonné l'alarme, il y a quelques années, devant les cas «particulièrement choquants» de viols, de pédophilie et de trafic sexuel survenus dans les rangs des Casques bleus. Il avait émis des «dispositions spéciales» à l'intention des fonctionnaires onusiens pour tenter de mettre fin aux scandales. Malgré tout, indique le grand reportage, de nouveaux cas ont été signalés au Liberia, au Sud-Soudan, en Côte d'Ivoire...

Un des problèmes, c'est que «la politique de recrutement des Casques bleus est insuffisamment sévère», juge Edward Tawil, chargé d'affaires politiques à la Mission des Nations unies au Kosovo (MINUK), sur laquelle s'arrête brièvement le documentaire de Mme Provencher. S'agissant de lutter contre ce climat d'impunité, M. Tawil est de ceux qui verraient bien «leur immunité suspendue pour les gens déployés dans des zones de conflit» afin qu'ils puissent être épinglés par la justice locale pour leurs actes criminels. Dans l'intervalle, dit Mimi Kashira, «des excuses ne seraient pas de trop».

Guy Taillefer  
9 novembre 2007

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