lundi 9 août 2010

Les aborigènes d'Australie – un génocide oublié



«Ô Blanc, reprends ton lourd fardeau :
Envoie au loin ta plus forte race, Jette tes fils dans l'exil pour servir les besoins de tes captifs; Pour - lourdement équipé – veiller Sur les races sauvages et agitées, Sur vos peuples récemment conquis, Mi-diables, mi-enfants. »

Le Fardeau de l’Homme blanc – Rudyard Kipling


Du 15 au 26 mars, les jeux du Commonwealth étaient présentés à Melbourne. Inaugurés par la Reine Élizabeth II, ces jeux ont été une occasion en or pour les Aborigènes d’affirmer leur présence pour une plus grande reconnaissance de leurs droits bafoués depuis l’arrivée des Britanniques en 1788. Une flamme symbolique s’est embrasée sur le campement des manifestants baptisé « le camp de la Souveraineté » par les premiers habitants de ce continent. Rebaptisé « Stolenwealth » par les Aborigènes, ce rassemblement de 53 pays membres sert de porte-voix pour inciter la Reine à reconnaître les injustices et les mauvais traitements perpétrés au nom du « fardeau de l’homme blanc ».

« La tentative de génocide, passée et actuelle, contre la population aborigène d'Australie n'a pas éteint nos droits souverains dans notre pays », a déclaré leur représentant, Robbie Thorpe, résumant ainsi l’histoire d’un génocide « tranquille » et les aspirations de son peuple.

La déclaration honteuse de négation de la « génération volée » de John Herron, Ministre des affaires aborigènes, montre la fermeture du gouvernement australien de reconnaître l’existence même de cette communauté. Les programmes « d’obligations mutuelles » et les propos discriminatoires du premier ministre conservateur John Howard exprime tout le mépris et la haine subis au cours des deux cent ans de présence britannique. Après tout, « ils sont toujours largement en retard par rapport au reste de la population » avait déclaré Howard à une radio de Melbourne.

La « terra nullius »

En 1788, James Cook prend possession du territoire australien au nom du roi Georges III. Aussitôt, il accorde à cette terre le titre de « terra nullius ». Par cette proclamation, James Cook rejette l’idée et la possibilité de l’existence d’une autre nation en ce « continent inexploré ». Ce concept d’appropriation, en lien au droit de propriété en vogue en Europe, s’oppose vivement à la conception aborigène de la terre. « La terre ne leur appartient pas, ils appartiennent à la terre. » Toutes les croyances associées au Dreamtime et aux ancêtres spirituels vouent à la terre nourricière le plus grand respect. Pour eux, tout émane de la terre puisque les dieux et les déesses y ont déposé de leur essence. Chaque lac, chaque montagne se dessine en fonction de l’époque de la création. Le paysage terrestre constitue une empreinte de ces temps ancestraux. Il dessine les traces de la mémoire pour unir le présent aux origines.

Emporté par sa nouvelle découverte et sa vision impérialiste au nom de l’Angleterre, Cook institue un régime raciste et contrôlant qui entraîne de lourdes conséquences sur le peuple fondateur. Pour mieux s’approprier le territoire, une négation de reconnaître les aborigènes comme premier peuple australien justifie sa conquête sans aucune réserve. Les colonisateurs amènent une mentalité xénophobe à propos des Premières nations qui selon eux « réunissent toutes les choses mauvaises que ne devrait jamais présenter l’humanité, et plusieurs dont rougiraient les singes, leurs congénères. »

À l’époque précoloniale, 500 tribus nomades sillonnaient le sol austral au gré des saisons et des ressources. Tous les clans étaient dispersés de façon très sporadique sur l’immensité du continent. Ainsi, des différences notoires caractérisaient les tribus. Ce peuple, installé depuis environ 40 000 ans en ces terres, paya et paye encore cher les débordements britanniques assoiffés de pouvoir et de domination. Les épidémies et le massacre de ce peuple réduisent leur nombre de 1 million à 60 000 individus en seulement un siècle d’invasion.

La génération volée

Au début du siècle, l’Australie adopte des mesures d’assimilation pour supprimer le peuple aborigène. La politique raciste de « l’Australie aux Blancs » est alors instaurée. Des milliers d’enfants métis se font enlever à leur famille pour leur donner une éducation « blanche ». Ces stratégies d’assimilation pour « l’intégration des Aborigènes à la société blanche » a, en réalité, pour but « d’effacer toute trace de la culture et de la langue aborigène ». Des regroupements entre tribus enterrent plusieurs traditions pour ainsi matérialiser les desseins des envahisseurs. Ce sont des familles blanches et des institutions missionnaires qui accueillent les enfants pour se charger de leur apprentissage « civilisé ».

En 1967, le gouvernement du Commonwealth organise un référendum conférant à l’État le droit de légiférer sur les Aborigènes, et ce dans tous les états australiens. À partir de ce moment, les Aborigènes se voient octroyés le droit d’exister ! Ils deviennent alors sujets de sa Majesté. Après deux siècles de répression, de vols et de spoliation, le gouvernement australien les dénombre dorénavant lors des recensements.

Malgré leur lutte, les aborigènes ont dû attendre jusqu’en 1992 pour l’abrogation de la loi du Terra Nullius. Néanmoins, les Aborigènes se voient toujours nier la propriété de leurs terres ancestrales. Le gouvernement utilise tous les moyens pour faire obstacle aux réclamations territoriales des peuples australs.

Le rapport du Commission national d’enquête, publié en 1997, intitulé « Bringing Them Home » révèle les traitements et les sévices moraux et physiques infligés aux Aborigènes. Plus de 700 témoignages de victimes relatent les gestes disgracieux et inhumains subits. Les auteurs ajoutent que de telles pratiques ont touché entre 10% et 30% des enfants aborigènes de toute l'Australie. En 2000, un rapport rédigé par John Herron, ministre des Affaires aborigènes, niait toujours la réalité : « Il n’y a pas eu de "génération" d’enfants volés. La proportion d’enfants aborigènes séparés n’excédait pas les 10 %. »



La situation des aborigènes


Aujourd’hui, les Aborigènes vivent dans des conditions dignes des pays africains les plus pauvres. Cette réalité se déroule dans l’un des pays les plus riches du monde. Les taux de mortalité infantile, de suicide, d’alcoolisme et de dépendance aux drogues sont de beaucoup supérieurs au reste de la population. La misère éprouvée se résulte en des statistiques alarmantes ; une espérance de vie de vingt ans plus bas que celle de l’Australien moyen.

Les politiques d’annihilation culturelle ont provoqué une désorientation dans leur marche comme peuple. L’économie australienne profite de la manne du tourisme relatif aux communautés aborigènes. Ce tourisme piétine leur héritage culturel en plus de créer un marché de consommation de produits « aborigènes » sans qu’aucun capital ne reste dans ces communautés. Des sites comme Uluru, Kata Tjuta, Kakadu National Park, The Nitmuluk National Park-Katherine Gorge sont victimes de l’effervescence du tourisme qui cause des dommages permanents aux sites en plus de porter un manque de respect flagrant aux Aborigènes.

Quelques symboles patriotiques…

Depuis 1972, une ambassade aborigène est érigée à Canberra en face de l’Ancien Parlement. Ce campement semi-permanent symbolise toute la lutte des autochtones pour le respect de leur culture et de leur histoire. Derrière cette structure se cache la revendication des droits fonciers pour recouvrer les terres ancestrales volées par les colonisateurs. Et surtout, ils expriment dans cette occupation le droit à l’autodétermination.

Un drapeau aborigène a été conçu en 1971 par Harold Thomas de la tribu Arrernte. Cet emblème représente à la fois l’identité, l’unité et la souveraineté des Aborigènes. « Symboliquement, la bande noire représente les Aborigènes, en référence à leur couleur de peau; la bande rouge représente la terre et la relation spirituelle des Aborigènes à la Mère Nourricière; le cercle jaune enfin représente le soleil, l'énergie, la vie. »

Le fardeau de l’homme blanc

Le « fardeau de l’homme blanc » porté en étendard « glorieux » par la Couronne britannique révèle toute sa cruauté et son inhumanité dans le génocide des peuples australs. Aujourd’hui, les mêmes notions de « mission civilisatrice », de « l’Occident civilisant les barbares » menacent l’existence des peuples. Franc-Parler condamne avec le plus grand mépris ces conceptions racistes et coloniales. Les conceptions eurocentristes servent toujours le même objectif : « diviser pour régner.»

En 1895, Joseph Chamberlain, le Ministre des colonies de Grande-Bretagne affirmait :

« En premier lieu je crois en l'Empire britannique, et en second lieu je crois en la race britannique. Je crois que la race britannique est la plus grande des races impériales que le monde ait connues. Je dis cela non comme une vaine vantardise, mais comme une chose prouvée à l'évidence par les succès que nous avons remporté en administrant les vastes possessions reliées à ces petites îles, et je crois donc qu'il n'existe pas de limite à son avenir. »

Les mêmes justifications eurocentristes à propos de la nécessité de l’impérialisme servent à commettre des crimes contre les peuples et à piller leurs terres. L’histoire du génocide des peuples australs ou des Premières nations au Canada résonne chaque jour. La nécessité de réparer ces crimes et de construire une humanité nouvelle basée sur l’égalité entre les cultures se révèle avec acuité. Notre humanité sera celle des peuples unis du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, brandissant haut levée la bannière de la libération.

(Franc-Parler, Vol.1, No.3 - 10 avril)

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