mercredi 16 décembre 2009

COMMÉMORONS DIGNEMENT LES 50 ANS DES ÉVÈNEMENTS DE DÉCEMBRE 1959


17H30 : MARCHE AUX FLAMBEAUX

Avec Tambou Bo Kannal et Watabwi

Départ face à l’hôtel La Fayette

(près de la savane de Fort-de-France)

19h00 : RASSEMBLEMENT CULTUREL

(Place François Mitterrand à proximité de l’E.D.F)

Avec la participation de l’A.M.4, Kanigwé, Léon Sainte Rose et son groupe, Nicole Cage, Kolo Bart, ...

LUNDI 21 DECEMBRE

18h30 : CONFERENCE-DEBAT A L’ATRIUM

(Salle Aimé Césaire)

Intervention d’historiens, de témoins des évènements,

Communication d’Alain PLENEL (Vice recteur de la Martinique lors des évènements)

En partenariat avec le Conseil Général et le Conseil Régional

SANBLE POU 50 LANNE DESANM 59

APASSE, ASSAUPAMAR, CDMT, CERCLE FRANTZ FANON, CSTM, GRS, IREHA, MIM, MIR, MODEMAS, MPP, MPREOM, PALIMA, PCM, PKLS, Louis Georges PLACIDE, Richard CHATEAUDEGAT, Gesner MENCE, Osman DUQUESNAY, Daniel SAINTE ROSE, Alain CADORE, Gilbert PAGO.

SONJÉ DÉSANM 59

(Cinquantième Anniversaire)

Que s’est-il passé à Fort-de-France les 20, 21, et 22 décembre 1959 ?

Dimanche 20 vers 18 heures, à proximité de la Savane : au volant de sa « Dauphine », un automobiliste français qui renverse la « Vespa » du scootériste martiniquais Frantz Moffat, refuse de faire une déclaration d’assurance. Il s’en suit une brève altercation. Informés de cet incident qui a provoqué un attroupement, des agents de la Compagnie Républicaine de Sécurité interviennent sur la Savane : tirant en l’air à balles réelles et lançant des gaz lacrymogènes, les CRS entreprennent de disperser sans ménagement les badauds encore présents sur les lieux, puis ils s’en prennent à l’importante foule venue écouter un concert de musique. La riposte s’organise, initiée par des militaires permissionnaires. Les CRS sont alors chahutés au cri de CRS mach, CRS déwò ! et sérieusement bousculés. C’est l’arrivée des gendarmes et des policiers qui leur permet de se retirer au Fort Saint-Louis ; 26 des 30 CRS engagés dans cette opération sont blessés dont 3 hospitalisés. Des pierres sont ensuite lancées contre l’hôtel de l’Europe, au motif que c’est de cet établissement qu’aurait été passé l’appel téléphonique ayant conduit à cette intervention musclée. Il est vrai que cette structure est le siège de l’amicale des anciens d’Afrique du Nord, le restaurant-bar préféré des Pieds Noirs, des CRS, et autres Français. À l’époque, on enregistre de nombreux incidents entre la population martiniquaise et la communauté française.

Lundi 21 : pendant la journée, les CRS et gendarmes qui cherchent à intimider la population, effectuent des rondes à moto et en jeeps, avec leurs armes ostensiblement visibles. Perçues comme des nouvelles provocations, ces « patrouilles de surveillance » à Fort-de-France et aux abords de la Savane ajoutent aux tensions. Conscient du climat difficile, le préfet par intérim fait alors consigner les CRS et demande à son collègue de Guadeloupe d’envoyer en renfort 3 pelotons de gendarmes. Dans la soirée, les attaques contre l’hôtel de l’Europe reprennent et ce sont les policiers qui interviennent arme en main. Ils se lancent dans une chasse à l’homme et provoquent la mort de deux jeunes :

- Christian Marajo (15 ans) : à la croisée des rues République et Ernest Renan appelée maintenant Moreau de Jones.

- Edmond Éloi Véronique dit Rosile (20 ans) : derrière l’Olympia, rue Villaret-Joyeuse appelée aujourd’hui Redoute du Matouba.

Les policiers devenant la cible principale des manifestants, les commissariats sont l’objet de tentatives d’incendie : le commissariat central de la place Gallieni, ceux de Rive Droite, de Pont Démosthène et des Terres-Sainville. Les émeutes s’étendent à toute la ville, avec trois foyers principaux : Rive Droite, Pont Démosthène (au niveau de l’actuelle place François Mitterrand) et Croix Mission.

Mardi 22 : c’est le jour le plus important des émeutes. Préfet p.i, Guy Beck prend l’initiative de réunir dans la matinée les directeurs de publication et des représentants des différentes autorités civiles et politiques. Cette manipulation politicienne vise, d’une part, à faire croire que les policiers ne sont pas responsables de la mort de Marajo et de Rosile, d’autre part, à amener les politiciens -tout particulièrement les communistes, à condamner publiquement les violences et donc isoler les émeutiers. Pendant toute la journée, des appels au calme sont donc diffusés à la radio. Les émeutes reprennent pourtant dans la soirée, pour atteindre leur point culminant.

Comme la veille, on enregistre des manifestations, avec une forte proportion de jeunes, et des affrontements directs entre les forces de l’ordre et des groupes des quartiers populaires. Les actions sont les mêmes mais elles présentent une plus grande intensité : le commissariat de Rive Droite brûle entièrement, les émeutiers installés dans le cimetière de la Levée, bombardent le commissariat central de bouteilles enflammées. Point chaud certainement le plus important, la Place Stalingrad (actuelle Place François Mitterrand) illustre mieux encore cette intensité : des centaines de manifestants déterminés affrontent des gendarmes qui, débordés, ouvrent le feu à plusieurs reprises et provoquent la mort d’un troisième jeune :

- Julien Betzi (19 ans), au niveau des marches du Morne Pichevin (quartier appelé aujourd’hui Les Hauts du Port).

Conscientes de l’ampleur croissante des manifestations, les autorités préfectorales qui craignent une « insurrection générale » accélèrent l’arrestation des meneurs. Le lendemain, elles décrètent le couvre-feu sur tout le territoire de Fort-de-France, à partir de 20 heures. Le gouvernement français décide d’envoyer en renfort d’autres gendarmes et des gardes-mobiles. Il annonce également le départ du « croiseur De Grasse en direction de la Martinique ».

La soirée du mercredi n’enregistre pas d’attroupements et d’affrontements.

Comment expliquer qu’un incident de circulation provoque un tel soulèvement populaire ?

Les causes réelles de ces émeutes sont profondes. Cette fin des années 50 s’inscrit, en effet, dans un contexte de mutation socio-économique qui comprend deux grands aspects :

- la restructuration de l’économie d’habitation : 14 usines sucrières en 1949, 11 en 1959 ; 90 distilleries en 1950, 33 en 1959. En fermant ses unités de production les moins performantes, la filière sucre-rhum améliore sa productivité et ses résultats. Cette restructuration provoque des licenciements que l’économie bananière, en pleine expansion, ne peut entièrement absorber.

- le chômage et l’exode : la terre ne fixant plus les populations, l’exode rural s’intensifie en direction des quartiers populaires de Fort-de-France. Ces derniers se développent et les premiers grands ensembles apparaissent dans les années 50-60 : les cités Floréal, Dillon, Bon-Air, Calebasse, etc..

Le changement de statut n’apporte donc pas l’égalité sociale espérée mais se traduit déjà par une lourde fiscalité qui pénalise tout particulièrement les petites structures et les artisans. L’administration du département et le développement des commerces et services induisent des créations d’emplois qui, il est vrai, sont en partie occupés par des fonctionnaires français et des Pieds noirs. Avec la départementalisation, on enregistre également des infrastructures nouvelles (écoles, hôpitaux, dispensaires, etc) dont bénéficient les secteurs de la construction et du bâtiment. Ces emplois sont cependant insuffisants, compte tenu de la très forte croissance démographique : l’excédent naturel est proche de 30 ‰ et près de la moitié de la population a moins de 20 ans.

À cette situation socio-économique difficile, il faut ajouter la multiplication d’incidents racistes, du fait des CRS, des fonctionnaires français qui sévissent dans les administrations, et des Pieds noirs venus d’Afrique du Nord.

Pourquoi ces trois jours d’émeutes prennent-ils une telle importance ?

Les combats de rue conduisent les partis politiques, surpris par l’ampleur des manifestations et la forte mobilisation des jeunes, à faire un constat de faillite. Faillite économique. Faillite sociale. Faillite d’une société sans réponse à l’angoisse de sa jeunesse. Faillite du rêve assimilationniste et impasse politique. Les politiciens sont donc amenés, sous l’impulsion des communistes, à prendre le relais de la rue. Et ce sont les prolongements politiques qui, en grande partie, expliquent l’importance historique que prennent ces trois jours des 20, 21 et 22 décembre 1959.

Les conseillers généraux unanimes : lors d’une session extraordinaire (jeudi 24 décembre) qui se tient en présence d’une foule importante, le Conseil Général unanime réclame :

- le retrait immédiat des CRS et des éléments racistes indésirables,
- une série de mesures socio-économiques, comme la réduction des impôts, la création d’une caisse de secours pour les chômeurs, l’extension de la Sécurité Sociale, l’application intégrale des prestations et allocations familiales.

D’expression autonomiste : la demande la plus audacieuse que formulent les conseillers généraux est que « des conversations soient entamées immédiatement entre les représentants qualifiés des Martiniquais et le Gouvernement pour modifier le statut politique de la Martinique, en vue d’obtenir une plus grande participation à la gestion des affaires martiniquaises ». Dans la forme, cette revendication autonomiste renvoie au mot d’ordre du PCM, « la gestion de nos propres affaires ». En déclin électoral depuis la démission d’Aimé Césaire en 1956, les communistes réalisent ainsi un beau coup politique.

Comment l’État français réagit-il aux revendications du Conseil Général ?

La réponse du gouvernement se fait en trois temps : un premier (décembre, janvier) où il donne l’impression de céder en acceptant certaines mesures, notamment l’annulation du départ du croiseur De Grasse, une enquête sur les racistes, le relèvement du Salaire Minimum et des allocations familiales. Un deuxième où, en réponse aux velléités autonomistes du Conseil Général, il met l’accent sur son projet de « départementalisation adaptée ». Un troisième (à partir de juillet, août 60) où la répression s’intensifie. La réponse des autorités françaises prend concrètement trois grandes formes :

- Un renforcement des moyens : avant même le départ des CRS, le gouvernement Debré envoie en Martinique des pelotons de gendarmes et de gardes-mobiles ainsi que du matériel lourd. Il prépare un plan de quadrillage de Fort-de-France par l’implantation de nouvelles gendarmeries sur les principaux axes routiers. Sous couvert de formation professionnelle, le SMA (Service Militaire Adapté -plan Némo 1960) éloigne les soldats martiniquais et guadeloupéens qui, lors des événements de Décembre 59, ont sympathisé avec les manifestants. Ils sont alors remplacés par des militaires français plus fiables en cas de nouvelle insurrection.

- Une chasse aux opposants : les autorités françaises pensent (à tort) que les communistes sont responsables des émeutes de Fort-de-France, et donc en mesure d’en déclencher de nouvelles. Persuadées également d’une liaison étroite entre Cuba et le PCM, elles sont alors convaincues d’un danger communiste imminent. Le nouveau préfet Jean Parsi se lance donc rapidement dans une politique anti-séparatiste qui vise les fonctionnaires (Alain Plénel est déplacé en janvier 1960) et les étudiants ; leur « congé budgétaire » étant interrompu, ils sont envoyés sur le front algérien. Avec l’ordonnance du 15 octobre 1960, le gouvernement ajoute au pouvoir discrétionnaire des préfets des DOM qui peuvent alors muter en France tout fonctionnaire « dont le comportement est de nature à troubler l’ordre public ». L’après-décembre 59 se caractérise donc par une chasse aux sorcières de type maccartiste (politiciens, syndicalistes, journalistes, particuliers, etc).

- Une politique migratoire : dès janvier 1960, le gouvernement parle de l’émigration comme réponse au chômage. Cette politique migratoire se structure en 1963 avec le Bureau des Migrations des Départements d’Outre-Mer, BUMIDOM qui organise l’exil de milliers de jeunes martiniquais, guadeloupéens et réunionnais. Ce flux migratoire répond au besoin de main-d’œuvre de la France, pour certains emplois peu qualifiés.

Que retenir en conclusion ?

Dénués pour la plupart de conscience militante, les manifestants n’en ont pas moins contribué à l’émergence d’une conscience nationale ; Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste Martiniquaise, l’OJAM est l’une des premières structures à se réclamer de « l’esprit Désanm 59 ». Les émeutes de 1959 constituent donc une date importante de l’histoire de la Martinique, un repère essentiel. À partir de ces événements, les limites du statut départemental sont reconnues par une majorité de partis politiques et l’idée de résistance à l’oppression coloniale s’exprime publiquement. Dans les années soixante, soixante-dix, des organisations militantes posent même la question de l’évolution statutaire en termes de « la lutte de libération nationale ».

Ces événements de Fort-de-France ont ainsi provoqué une prise de conscience, dans un contexte international de décolonisation et d’accession des peuples à l’indépendance.

Pour mémoire de Nous-Mêmes, fòk sonjé Marajo, Rosile et Betzi, victimes du colonialisme français. Honneur aux combattants de Désanm 59.


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