mercredi 11 novembre 2009

Désobéissance: Discours prononcé par Marie-George Buffet en hommage aux 27 de Châteaubriant

Bonjour à tous,

En ces jours où l'institution veut nous imposer une mémoire
frelatée de Guy Môquet, je me permet de vous transférer le
discours de M.G. Buffet en hommage aux fusillés de Chateaubriant;
elle y défend l'idée d'une désobéissance collective, d'une
insurrection civique qui s'accompagne d'un réel hommage à Alain et
aux désobéisseurs. Comme quoi, par delà les réticences syndicales,
des soutiens politiques peuvent se construire autour de l'idée de
désobéissance.
Cyril Binot,

Madame la présidente de l'amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé, chère
Odette,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations d'anciens
combattants, résistants et déportés,
Mesdames et Messieurs représentant les familles des fusillés,
Monsieur le maire de Châteaubriant,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le directeur du journal l'Humanité, cher Patrick,
Mesdames et Messieurs les représentants de la Confédération générale du
travail,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis et chers camarades,


Le chant de La Marseillaise porté par les voix des 27 résonne
encore dans les rues de Châteaubriant.

Ce jour là, le 22 octobre 1941, les camions de l'ennemi traversent la
ville avec à leur bord des hommes au courage infini. Ils chantent. Ils
chantent pour dire leur haine de la barbarie nazie, dire qu'ils n'ont
pas peur de mourir, dire qu'ils n'ont aucun regret et que d'autres
devront résister après-eux..

Certains Castelbriantais ont vu passé les camions,* d'autres non. Mais
tous se souviennent de ces hommes qui n'ont pas arrêté de chanter de
leur départ de Choisel jusqu'à leur arrivée à la Sablière. Au camp, tous
les détenus ont donné un écho puissant à leurs paroles.

Le bruit des véhicules devant les poteaux plantés dans la carrière ne
réussira pas à étouffer les cris de liberté de Ténine et de ses
camarades : «Vive la France», «Vive le Parti communiste», « Vive le
peuple allemand » ont-ils lancé à ceux qui les pointaient de leurs fusils.
Les 27 sont morts. Et cette mort a tout de suite empli de colère la
population de Châteaubriant. Beaucoup partageaient l'engagement de ces
combattants infatigables. Certains prendront même le risque, dès le soir
de la fusillade, de se rendre au château pour rendre hommage aux victimes.
Pendant la nuit, puis aux premières lueurs du jour, quelques-uns, avec
courage, viendront fleurir la carrière.

Venue à vélo de Louisfert, Denise Caridel fut parmi les premières à se
rendre sur le lieu de la fusillade pour y déposer des fleurs. Des fleurs
pour rendre hommage à ses « p'tits gars », aux plus jeunes, Guy, Charles
et Émile et à tous les autres. Des fleurs à l'image de la beauté de leur
combat. Des fleurs au puissant parfum de désobéissance.

Aragon nous dira que le dimanche suivant plus de 5000 personnes
défileront à la Sablière. Elles couvriront de fleurs un sol encore
marqué par le sang de ceux qui, par leur courage, donnèrent la force à
leurs survivants de faire fleurir, dans le pays tout entier, des actes
de résistance. Merci. Merci à toutes les femmes et à tous les hommes qui
ont fait vivre la Résistance en Loire Intérieure comme on l’appelait
autrefois. Je pense aux familles de ce pays qui ont accueilli des
réfugiés espagnols fuyant le régime franquiste.

Je pense aux enfants qui dissimulaient dans leurs chaussettes des
messages qu’ils passaient ensuite à leurs pères à travers les grillages
du camp de Choisel.

Je pense aux femmes qui, venues visiter leur mari prisonnier,
transféraient des marchandises.

Je pense aux agents des PTT qui, apportant du courrier, laissaient les
sacoches de leur vélo ouvertes pour que des lettres échappent à la censure.
Je pense aux commerçants qui offraient le gîte et le couvert à ceux qui
avaient réussi à s'évader.

Tous, dans la diversité de leurs pensées, de leurs engagements, ont
bravé les interdits de l'occupation. Tous ont pris le risque de mourir
sous les balles allemandes.

Tous ont désobéi comme les 27. Tous, et combien d'autres ?

L'action de ces résistants trouve un écho sans cesse grandissant
aujourd'hui. Des femmes et des hommes ordinaires, comme eux,
désobéissent aux ordres injustes, aux mesures inégalitaires, à tout
ce qui empiète les droits et les libertés.


Refusant la chasse aux enfants sans-papiers, des hommes et des
femmes ordinaires, -parents, enseignants-, écrivaient, il y a
trois ans, dans un appel que nous étions nombreux à signer :
«Nous ne laisserons pas détruire la vie de ces enfants, de ces
adolescents et de leurs parents. Ils ont commencé d’étudier dans
ce pays, ils en parlent la langue. S’ils décident d’échapper à
une expulsion honteuse, nous les y aiderons». Ces mots nous
rappellent l'action de Jean Grandel, maire et conseiller général
communiste. Déchu de ses mandats le 21 janvier 1940, il ira
s’occuper du sort des enfants évacués en province.

Défendre ces enfants, c'est aussi défendre avec force les missions de
l'école. Je me souviens de cet instituteur de Colomiers, Alain Réfalo,
qui en fin d'année dernière initiait un mouvement qu'il qualifie
lui-même de « désobéissance pédagogique ». Il fut suivi depuis par 3000
de ses collègues. Pour lui, « nous ne pouvons pas brader notre
conscience en acceptant des réformes qui font mal à l'école publique ».
Il nous rappelle qu'un fonctionnaire peut « dire non à sa hiérarchie si
l'ordre donné est de nature à compromettre gravement un intérêt public
». Ces mêmes principes étaient déjà défendus par l'un des 27, Raymond
Laforge, qui enseignait à Montargis avant la guerre.

Ce sens de l'intérêt public et de l'importance des services publics, des
médecins l'ont eux aussi rappelé récemment. Ils dénonçaient avec force
une loi dans laquelle le maître-mot n’est plus la santé mais la
rentabilité. Et, ils annonçaient leur intention de désobéir : « Soyons
clairs disaient-ils

http://moissacaucoeur.elunet.fr/index.php/post/26/10/2009/ disaient-ils

Si cette loi n’est pas amendée, elle s’appliquera sans nous, médecins et
chirurgiens de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris. ». Cet
engagement fait écho à celui de Maurice Ténine qui créa en janvier 1941,
le journal clandestin « Le Médecin français ».

Tant d'autres luttes mériteraient d'être évoquées. J'en
évoquerai deux qui sont particulièrement d'actualité.

La lutte des femmes pour leurs droits, leur droit à la désobéissance
face à l'ordre patriarcal rappelant le combat de toutes ces résistantes
trop souvent anonymes.

Enfin, dès demain soir, les cheminots seront en grève. Leur but :
promouvoir une autre politique pour le fret SNCF et gagner, par l’action
collective, l’arrêt des suppressions d’emplois, l’amélioration des
conditions de travail, l’abandon des réorganisations qui font tant de
mal au transport public et à ses agents. Cette désobéissance, qui est
celle de cheminots portant une certaine idée du service public et de ses
valeurs, me rappelle celle de Léon Bronchart, un conducteur de train du
Tarn-et-Garonne qui, il y a 67 ans, le 31 octobre 1942, décidait lui
aussi de désobéir.

Il nous raconte : « J'assiste à l'évolution d'une rame que l'on ajoute
au train que je dois emmener. Sur les marchepieds, des éléments de la
Police d'État gardent les portières, j'effectue ma mise en tête et je
m'enquiers auprès du sous-chef de gare de la raison d'un tel service
d'ordre et de sécurité. Il m'apprend que ce sont des internés politiques
que l'on transfère ...

je refuse d'emmener le train. ...

Malgré les conseils, les objurgations, les sommations, les menaces, j'ai
continué à refuser ; quand j'en ai eu assez, j'ai coupé moi-même la
machine ...

Rentré au dépôt j'ai dit : « Si vous voulez, faites venir un médecin pour qu'il
puisse constater que je ne suis ni fou, ni ivre ».

Tous ces résistants d'hier et d'aujourd'hui ont tous une chose en
commun : ils considèrent que la désobéissance, plus qu'un droit, est un
devoir quand l'ordre établi s'oppose à la devise de notre République:
liberté, égalité, fraternité.

Face à l'ordre moral, la désobéissance est vitale car elle est un moyen
d'irruption civique dans une démocratie étouffée, elle est un moyen
d'action, de convergences, de rassemblement.

En France, comme ailleurs, la mondialisation capitaliste confisque
progressivement les pouvoirs des peuples pour les confier aux mains de
quelques financiers. La Loi du profit rejette les modes d’expressions,
d’organisations et d’actions démocratiques qui pourraient contester sa
logique. Face à cela, les institutions de la Ve République sont à bout
de souffle, incapables de donner de la force aux citoyens et citoyennes.
Il nous faut alors ici faire nôtre une idée qui accompagne l'action de
tous les résistants, l'idée que l'essence de la démocratie réside bien
moins dans le pouvoir de la majorité que dans les contre-pouvoirs que
constituent des minorités. Cela nous indique un chemin à emprunter pour
répondre à la crise actuelle : libérer les droits et donner de nouveaux
pouvoirs aux élus, à tous les citoyens, citoyennes, aux salariés !

Elle appelle la construction d'une nouvelle République où le Parlement
retrouve sa légitimité, où l'intérêt général, le bien commun reprennent
le dessus sur le tout marchand.

Cela appelle la construction d'une République sociale où les salariés
pour faire respecter leurs droits puissent se mêler de la gestion des
entreprises qu'elles soient publiques ou privées.

Construisons une République participative où les citoyens et citoyennes
puissent, comme nous l'avons fait lors de la votation citoyenne sur la
Poste, se saisir, à tout moment, des choix qui concernent leur vie et
leur avenir.

Unissons nos forces pour porter une ambition démocratique pour notre
pays comme celles et ceux qui nous ont précédés ont su le faire pour
désobéir à l'occupant.

Les fleurs déposées par les milliers de Castelbriantais à la Sablière
sont le témoin de la capacité d'un peuple à se rassembler autour de
valeurs aussi fortes que celles promues par les résistants.

Dans la France occupée, la symphonie de leurs couleurs a marqué l'éclat
de l'engagement de millions de cœurs qui haïssaient la guerre et le
fascisme.
A la Libération, la puissance de leurs parfums a témoigné de la profonde
humanité des femmes et des hommes que les nazis voulaient déshumaniser.

Cette humanité s'est traduite dans le programme du Conseil national de
la Résistance.

Aujourd'hui, ces fleurs nous rappellent que la désobéissance est le
bourgeon d'une démocratie véritable, le bourgeon de la prise du
pouvoir par un peuple à présent libéré de la barbarie nazie, libéré
par nos 27 camarades, libéré par tous les résistants !

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